
Sous la forme de l'eau
Etes-vous prêts pour le grand saut tête la première dans le dernier petit bijou sous-marin de Guillermo del Toro ? Alors embarquez avec moi 20 000 lieus sous « La forme de l’eau », titre du long métrage du célèbre réalisateur mexicain qui réaffirme encore aujourd’hui le génie de son talent. On plonge dans la romance poétique d’Elisa une femme de ménage muette et solitaire avec un monstre amphibien maintenu en cage par le gouvernement. Cette histoire fantastique s’ancre ingénieusement et textuellement dans l’Amérique des années 60 déchirée par la Guerre Froide. On y retrouve de grandes ressemblances avec « Le Labyrinthe de Pan » dans la manière de juxtaposer savamment l’imaginaire et la réalité, les monstres humains ou mythiques, la violence et la poésie… Le film baigne dans des tons verdâtres qui ne sont pas sans rappeler la bête elle-même. Préférant les combinaisons en latex aux effets spéciaux numériques, Del Toro crée un monstre (Doug Jones qui tenait déjà le rôle de Pan) qui ne détonne pas avec le décor. De nombreuses critiques, notamment de plagiat (dont « Delicatessen » de Jeunet) viennent entacher le film. Certains voient en lui un Tim Burton maudit, enfermé dans la maitrise trop formelle de son style, une critique formulée depuis ses derniers films, qui privilégiaient clairement la forme sur le fond. Le long-métrage ne tombe pas dans cet écueil, et tisse en filigrane une vision critique de la société américaine de l’époque (machisme, ségrégation raciale). L’autre reproche que l’on pourrait faire au film porte sur certaine incohérence ou facilité scénaristique mais que la mise en scène époustouflante et l’atmosphère lyrique viennent colorée. Alexandre Desplat (célèbre compositeur) rend un hommage remarqué et réussi à l’Amérique de Fred Astaire détruisant le silence pesant qui entoure le personnage principal. De la même façon, Del Toro déclame son amour au cinéma faisant de son film un reflet à la surface de tous les films de monstres qui ont forgé à la fois sa culture cinématographique et sa sensibilité romantique.
Le film est pour cela récompensé du Lion d’Or de la Mostra de Venise et de nombreuses nominations au Oscars notamment pour l’actrice Sally Hawkins qui excelle dans son rôle muet qui ne peut laisser le spectateur insensible. Ce conte sous-marin baroque nous immerge donc dans un fabuleux mélange des genres réalisé et co-écrit par l’œil d’esthète de Guillermo del Toro. Sa manière virtuose de raconter une histoire par le déplacement fluide de sa caméra, nous ouvre l’esprit sur l’immensité de nos cœurs. Alors n’ayez par peur de boire la tasse, et préparez-vous à vous jeter dans le grand bain pour vous perdre dans la beauté bleutée turquoise du grand écran.

